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Les DEZON…

Hélène Dezon, ma grand mère paternelle, naquit le 2 octobre 1897, à Périgueux.

Elle était la fille cadette, de Jean Dezon et Marie Rebière. Tous deux agriculteurs ou métayers, vraisemblablement. Travaillant dans cette grande ferme, qui dominait alors le plateau du Grand Puy Bernard…

J’en garde un souvenir confus : de grands bâtiments, en forme de U majuscule, délimitaient une vaste cour, au centre de laquelle on trouvait un puits, imposante construction recouverte d’un toit d’ardoises.. De ci, de là, elles étaient envahies par cette lèpre verte de mousses et de lichens, qui finit, inévitablement, par coloniser les milieux les plus humides…

J’ai encore en mémoire la profondeur terrifiante de ce puits… Penché sur la margelle, mais solidement retenu par mon père, le petit enfant que j’étais pouvait apercevoir, tout au fond, les reflets tremblants de son eau… Au bout d’un moment, l’oeil finissait par s’habituer à cette pénombre glacée… Et la vue de nos deux têtes, à peine reconnaissables, si loin au fond de ce gouffre, rajoutait à ma crainte et je n’insistais pas…

J’entends encore, me semble-t-il, le bruit caractéristique de la chaîne d’acier, s’enroulant autour de l’axe de bois, lorsque la fermière remontait son seau de métal. D’un geste assuré, elle en déversait une eau fraîche et limpide dans un broc émaillé, qu’elle emportait ensuite à la cuisine où l’on ne manquerait pas d’en faire bon usage… Car l’exercice était pénible et il convenait d’économiser au maximum le précieux liquide…

J’ignore si Jean Dezon avait des frères ou des sœurs, mais c’est fort probable… De son côté, sa femme, Marie Rebière, mon arrière grand mère, avait 5 ou 6 sœurs.. Il faut dire qu’à l’époque les familles nombreuses n’étaient pas rares… C’était même la règle. Et il n’y a guère que dans les milieux bourgeois où le nombre d’enfants se limitait à deux ou trois, dont s’occupaient les nourrices…

Du coup, on comprend bien que tous ces enfants, devenus parents à leur tour , entre 1910 et 1920, eurent une nombreuse descendance et que neveux et nièces, changeant de patronyme au gré des mariages, poursuivirent leur route, chacun de son côté, jusqu’à finir par disparaître des relations de cousinage, que ma propre grand mère, leur plus proche parente, avait depuis longtemps perdues de vue…

Hélène avait 2 sœurs… L’aînée, c’était Marguerite…. Je ne sais pas grand chose d’elle… Après son mariage, avec Francis ( ou Louis.. ?? ) Wallaine, elle partit vivre en région parisienne… Le couple tint un petit restaurant, qui fit malheureusement de mauvaises affaires… J’ignore ce qu’il en advint par la suite.

Marguerite eut des enfants, bien entendu… Peut être un garçon.. ( Charles.. ?? ) Je n’en suis pas certain…

Mais – à coup sûr – une fille, Jeannine, la cousine germaine de mon père, qui avait plaisir à la revoir lors de ses rares passages à Périgueux. Accompagnée de sa mère ( alors veuve ), de son mari ( Raymond Gionet ) et de ses enfants (…???), elle descendait chez ses tantes, au moins une fois par an…

Jamais les liens entre les trois sœurs ne furent rompus. Et la venue des cousins de Paris se traduisait, traditionnellement, par un repas de famille, comme seuls les véritables périgourdins, gourmands et amateurs de bonne chère, savent les organiser..

Hélène avait à cœur de régaler ses invités… Elle aimait recevoir et savait cuisiner… Alors…

( Quant aux lointains cousins de Paris…. le temps a passé sur les vies… les liens se sont défaits et même les recherches que j’ai pu faire sur internet sont restées vaines… !! )

La plus jeune des trois filles Dezon, la benjamine, c’était Julienne. Elle épousa Maxime Dubois, artisan chauffagiste. Je crois savoir que cet homme était divorcé. Il avait un fils, d’un premier lit, qui lui succéda, bien plus tard, à la tête de sa petite entreprise, située alors au 101 de la Rue Combe des Dames, à Périgueux.

Chose amusante, Hélène habitait au 103.

Les deux sœurs furent donc voisines une bonne partie de leur vie et ne manquèrent jamais une occasion d’aller passer un moment ensemble, chez l’une ou chez l’autre… Les prétextes ne manquaient pas.. et les sujets de conversation, non plus…

Du coup, Julienne est celle des deux sœurs que j’ai le mieux connue…

Elle n’eut jamais d’enfant.

La famille Dezon comptait aussi un garçon. C’était, probablement, l’aîné de la famille, car Maurice naquit le 5 avril 1895. Caporal au 230ème Régiment d’Infanterie, il fut tué à Verdun le 15 septembre 1915… A 20 ans. Comme tant de jeunes de son âge, tombés au front, victimes innocentes de la stupidité des hommes…

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Le peu que je sais de lui, je l’ai écrit dans ce blog, chapitre «  Portraits « , rubrique « 1914 – 1918.. S’il vous plaît, dites leur nom.. »

Hélène en parlait rarement… A son décès, j’ai découvert, dans le buffet de la salle à manger, une petite boîte de métal contenant quelques rares objets ayant appartenu à ce frère tragiquement disparu et qu’elle avait pieusement conservés : une carte brodée du front de Lorraine, un coupe papier en cuivre provenant d’une bague d’obus ( il avait mis beaucoup de soin à le décorer et le graver à son nom )… ainsi qu’une photo de lui en uniforme.

Et voilà…

C’était ma famille… Je peux citer leur nom.. mais c’est à peu près tout…

Bien entendu, au moment où j’écris ces lignes, plus personne n’est en mesure de me donner le moindre renseignement sur eux.

Tous sont partis depuis longtemps…

C’est aussi la raison qui m’a poussé à porter témoignage… car je suis le seul, actuellement, à pouvoir rapporter, pour mes enfants et mes éventuels descendants plus lointains, ces quelques renseignements – c’est mieux que rien, n’est ce pas.. ??? – qui, sinon, auraient complètement disparu.

La raison l’emporte… Bien plus que le désir de livrer un récit…

Hélène allait à l’école primaire de la Rue Jules Ferry, dans le quartier du Toulon. C’était, à ses dires, une bonne élève… «  Era totjorn la prumiera « …aimait-elle à raconter.. ( «  J’étais toujours la première.. » En occitan, sa langue maternelle, on prononce ; éro touzour lo prumièro )

Mais elle n’alla pas au delà du certificat d’études, comme la plupart des enfants de la campagne qui devaient travailler dès le plus jeune âge…

La vie était dure, en ce temps là, et on avait bien besoin de tous les bras… Elle travailla donc aux côtés de ses parents et resta à la ferme…. Elle y apprit, comme tous ceux qui connurent cette vie de labeur, les travaux des champs et de la terre… le jardinage en général et la culture des légumes en particulier..

Les conserves de fruits, de tomates ou de haricots verts n’avaient plus de secret pour elle, non plus que les confits, pâtés de canard ou galantines de dinde qu’elle réussissait immanquablement…

Les filles de cette génération étaient destinées à devenir de parfaites épouses et des mères, sachant tenir une maison et élever des enfants… Du coup, elles apprenaient, aussi, la couture, le tricot et le crochet… Quelquefois, même, la broderie.. ( De nos jours, on retrouve, dans les brocantes, de vieux draps brodés, de lin ou de coton… J’aime regarder leurs motifs délicats : fleurs stylisées ou branches entrelacées… bordures ajourées aux lignes régulières… Que de soin.. que de patience et de temps il a fallu pour les réaliser…!!! )

C’est ainsi que la société d’avant la grande guerre concevait l’éducation des filles…

Rien ne rebutait cette femme et tout l’intéressait… Car Hélène aimait lire les magazines et les journaux.. Elle y découpait des articles, qu’elle conservait soigneusement dans un cahier d’écolier contenant ses recettes de cuisine et de pâtisserie…Bien rangé dans un tiroir du buffet, dans la cuisine, elle l’avait plus facilement sous la main, en cas de besoin…

Mais, à vrai dire, elle ne le consultait guère, sachant parfaitement ce qu’elle avait à faire et comment s’y entreprendre..

Jamais en repos, il fallait qu’elle s’occupe à longueur de temps.. Et ce, pratiquement jusqu’à la fin de sa vie… Seule la maladie l’obligea à abandonner toute activité, car Alzheimer efface tout, hélas….

J’ai l’âge des bilans… Et des regrets aussi… Car la famille de mon enfance, qui me semblait si grande et dont les membres se retrouvaient souvent dans une ambiance agréable et joyeuse… tous sont partis.. comme l’impose l’inexorable loi de la nature…

Me voici maintenant sans la protection de tous ces aînés, exposé en première ligne et incapable, au moment du constat, de transmettre beaucoup plus que ces pauvres lignes qui offrent si peu à l’imagination… Il y a trop de blancs, trop de vide…

J’aurais dû demander,,, il aurait fallu questionner… Et quand cette évidence m’est apparue, ma mère était déjà bien malade… Rassemblant ses pauvres forces, elle a bien voulu travailler avec moi à classer les vieilles photographies en noir et blanc, entassées, pèle mêle, dans la petite valise en carton venant de ses parents. Une fois réparties par familles, côté paternel et côté maternel, on fit encore quatre grandes enveloppes pour les parents éloignés, les amis et les connaissances…

Et dans la dernière, on mit tout le reste…. Ceux dont le temps et les circonstances avaient effacé la mémoire… Bien trop nombreux, à mon idée…

En 1984, c’était déjà trop tard…

Jeunes ou vieux, seuls ou en groupe, à la maison ou à la mer, en aube de communiant ou pour un mariage à la campagne , bébés tout nus sur le coussin du photographe, soldats posant fièrement en uniforme ou famille bourgeoise en tenue de dimanche, petit garçon à col marin et fillette en robe blanche à frous frous, photos de classe de l’entre deux guerres.. arlequins ou pierrots de carnaval… tous ces regards, tous ces sourires, toutes ces vies, couleur sépia ou en noir et blanc, nous regardaient de leurs yeux vides, à jamais indifférents, comme si nous mêmes n’existions déjà plus…

Quelle tristesse, aujourd’hui, d’avoir à faire la désolante constatation que je sais moins que rien de l’enfance de ma grand mère, de ses jeux de fillette, de sa scolarité, de son adolescence…

Absolument rien de ce parcours de vie, tellement important et si déterminant dans l’existence d’un adulte..

Etait-elle coquette… ??? Aimait-elle chanter.. ?? A-t-elle dansé, les soirs de fête, avec les jeunes de son âge… ?? Et de quoi rêvait-elle.. ??

Ces questions resteront à jamais sans réponse, je le sais bien… Et tous les remords, tous les regrets n’y changeront rien…

Raison de plus pour transmettre, tant qu’il est encore temps… !!!

Les REBIERE….

Hélène connaissait bien Louis Pierre Rebière.

Sans doute depuis longtemps, car sa famille habitait, dans le voisinage proche des Dezon, une maisonnette toute en longueur, non loin de la ferme du Grand Puy Bernard.

( Aujourd’hui, je la situerais Rue Gilbert Privat, côté impair,,,, plutôt entre le 23 et le 31… C’est difficile à dire, car tout a changé dans ce secteur, devenu un des quartiers résidentiels de Périgueux…)

Petit enfant, mon père m’y amenait, régulièrement… Nous quittions alors notre petite maison de la Rue Jacques le Lorrain, dans le quartier St Georges, traversions la presque totalité de la ville à bicyclette ( moi, confortablement installé sur un siège d’enfant ) et, juste après la descente de la caserne Ardent du Pic, on pouvait apercevoir, une fois dépassé l’ancien aqueduc qui franchissait le vallon, là haut, tout au loin sur la colline, la maisonnette de mes arrière grands parents, à l’orée d’une immense forêt de chênes…

D’après mon père, ce devait être une dépendance de la ferme voisine.. Possible qu’on y logea, autrefois, quelque famille de métayers…

On empruntait alors un chemin caillouteux, à la pente tellement raide, qu’il nous fallait grimper à pied. Il serpentait entre diverses bâtisses, dont les chiens se manifestaient bruyamment à notre passage… C’était la partie la plus désagréable, pour le petit enfant que j’étais. Rien de bien rassurant, en effet , d’entendre ces molosses (!) aboyer furieusement à quelques mètres de nous…

Alerté par ce remue ménage, le couple de vieux sortait sur le perron et nous regardait venir de loin.. Je me souviens que, descendue jusqu’au fond du jardin, pour mieux se rapprocher de nous, la grand mère de mon père nous criait des «  Ouh..ouh… « , déjà toute réjouie d’avoir un peu de visite..

Mais revenons à Louis Pierre Rebière.

Il naquit le 19 Novembre 1896 à Périgueux. Son père, Antoine Rebière, né le 22 janvier 1866 à Périgueux, employé du PO, était le fils de Philippe Rebière, lui aussi employé du chemin de fer, et de Marie Desfarges, sans profession.

Antoine avait épousé, le 8 Février 1896, Marie Devaux. dite Anna, née le 7 juin 1877 aux Cars ( Haute Vienne ), fille de Léonard Devaud et de Marie Devaud. ( une cousine… ?? )

Peu avant leur rencontre, Anna habitait Merlines, une petite commune de Haute Corrèze. A cette époque, Antoine était lignard et travaillait à la construction de la ligne de chemin de fer qui devait relier Bordeaux à Clermont Ferrand.

Je ne sais pas dans quelles circonstances Antoine fit la connaissance de Anna… Peut être venait-elle, avec ses amies, admirer ces hommes, jeunes et vigoureux, qui s’échinaient sur le ballast nouvellement déposé, à faire avancer le progrès, au même rythme que les rails… ??

Pourquoi pas.. ??

Toujours est-il qu’il la ramena à Périgueux et l’épousa en justes noces, à la date indiquée plus haut.

Le couple s’installa alors dans la maisonnette du Grand Puy Bernard, dont je viens de parler..

Par la suite, je sais que Louis fit des études dans la toute 1ère école professionnelle de notre ville, qui s’installa, en 1911, dans les locaux de l’ancien petit séminaire, quartier Saint Georges, juste au dessus de l’église. ( Aujourd’hui, caserne de la CRS 22, Rue Haute Saint Georges )

( Ces bâtiments avaient été tout récemment «  libérés « après les lois de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat et réaménagés pour accueillir ces nouvelles formations professionnalisantes.

On installa, par exemple, les ateliers de la menuiserie et leurs machines, ainsi que la forge, dans l’ancienne chapelle de cette école cléricale..)

A cette époque, scolariser un enfant dans une école professionnelle, c’était déjà, en soi, quelque chose de novateur….

Bien des années plus tard, en 1984, j’ai entrepris des recherches, aux archives municipales, sur l’histoire de l’enseignement professionnel à Périgueux ( voir, dans ce blog, au chapitre «  Claveille «  )… Et j’ai eu la surprise et le grand bonheur de retrouver un relevé de notes de la classe de mon grand père paternel, Louis Rebière, où étaient reportés ses résultats scolaires… !!

Plus tard, Louis entra au PO. Sans doute conseillé par son père Antoine, lui même – comme on l’a vu – employé de cette compagnie du chemin de fer, le Paris Orléans, gros pourvoyeur d’emplois à cette époque, dans une petite ville de province comme la nôtre, et synonyme de progrès et de salaires réguliers…

Né en 96, il est vraisemblable que Louis fut mobilisé en 1916… Probablement dans l’infanterie au vu de son uniforme , alors qu’il pose, fièrement, et pour la postérité, dans sa tenue de soldat.

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                                 Louis Pierre Rebière.

On m’a toujours raconté qu’il avait été gazé, à la fin de la guerre… Où, quand et comment.. personne ne me l’a jamais dit.

A ce stade de mon récit, je tiens à préciser que la mère de Louis, Marie Devaud, devenue Rebière par son mariage avec Antoine, fut plus commodément prénommée Anna, pour éviter toute confusion avec la mère de sa belle fille Hélène, née Marie Rebière…

Je crois utile – enfin – de rappeler que «  Rebière «  est un patronyme d’origine occitane, fort commun en pays de langue d’oc, comme l’est notre Périgord, et qu’il signifie, tout simplement «  rivière « .

A l’origine, il servait à désigner quelqu’un habitant en bord de rivière…

Ce nom a des variantes locales ( «  Ribière, Larebière, Laribière..etc « ) voire même beaucoup plus lointaines, comme ces «  Ribeiro » et autres «  Ribeira « que l’on trouve en Espagne et jusqu’au Portugal.

Exactement pour les mêmes raisons topographiques…

Là encore, j’ignore si Antoine Rebière avait des frères et des sœurs, mais une chose est sûre : c’est que Anna avait 6 sœurs, ce qui multiplia considérablement le nombre de neveux et nièces, au point que seule, ma pauvre mère, savait si retrouver, sans jamais se tromper, dans cette fort nombreuse parentèle.

A titre d’exemple, nous fréquentions, avec grand plaisir, nos cousins Marcel et Vévette Messaoud de Moissac. ( Vévette, de son prénom Geneviève, était la fille de Léonie, une des 6 sœurs de Anna )

Mon père était, du reste, le parrain de leur fils, Alain. Chaque année, les retrouvailles étaient une vraie fête de famille dont on se réjouissait longtemps à l’avance.

Soit que nous allions chez eux, (aux débuts par le train, puis ensuite en voiture ), soit qu’ils viennent chez nous, à Périgueux, où s’animait alors notre petite maison de la Rue Jacques le Lorrain, que je trouvais si triste tous les autres jours. Avec Vévette, Marcel et Alain, c’était la bonne humeur assurée et les éclats de rire à tout instant… !!

Et encore aujourd’hui, le contact est maintenu avec Alain, sa femme Colette et leur grande et belle famille. Le temps a passé, bien sûr… Leurs petits enfants sont en âge de se marier et je les connais bien peu, mais cette affection fort ancienne, qui nous unissait du temps de nos parents, n’a rien perdu de sa vivacité.

C’est toujours un vrai bonheur de se retrouver quand les circonstances le permettent…

Quand aux autres cousins… Qui sont-ils.. ?? Que sont-ils devenus.. ??

Mystère.. !! Et pour tout dire, ça m’est bien égal… !!!

Revenons à mes grands parents Rebière.

A son retour du front, Louis retrouva Hélène et les deux jeunes gens décidèrent d’unir leurs destinées… Ils se marièrent , le 26 juin 1919,

A l’époque des fenaisons, mais juste avant les moissons….

Par chance, je possède des photos des jeunes mariés et de cette noce campagnarde… Elles ont été prises après que le cortège, mariés en tête, se soit rendu à la Mairie de Périgueux, puis à l’église, car, dans notre famille, c’est la tradition.

Essayons donc de «  faire parler  » ces photographies

D’abord, la photo du jeune couple :

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La mariée prend appui, de ses deux mains jointes, sur l’épaule gauche de l’époux. En une posture familière, mais qui reste très élégante.

Elle est vêtue d’une robe blanche, selon la tradition. Elle lui arrive un peu au dessus des chevilles, formant trois jolis replis ( dits «  plis religieuse « .), depuis les genoux jusqu’en bas. A la ceinture, sur le devant mais légèrement à gauche, est accroché un bouquet de fleurs d’oranger.

Le voile, en tulle, enserre la tête et lui donne l’air d’une communiante. Il tombe gracieusement jusqu’aux chevilles, donnant une impression de légèreté.

La mariée porte une couronne de fleurs d’oranger.. , Elle est chaussée d’escarpins ouverts à talon moyen, de couleur blanche, comme celle de ses bas..

Le marié porte un costume trois pièces, très chic. Maintenu boutonné. Petite pochette blanche. Chemise blanche fermée par un nœud papillon blanc. La main droite tient une paire de gants de peau, blancs également. Ainsi que le chapeau melon de cérémonie.

Ils posent devant un bâtiment dont le mur est recouvert de lierre, ou d’une vigne vierge… Sans doute une partie du corps de ferme. Peut être l’arrière de l’habitation..

L’herbe recouvre le sol…

La photo de famille a été prise au même endroit.

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Le photographe officiel, commandé pour cet événement familial (L.Portas. 32 , Rue Gambetta à Périgueux, ainsi qu’il est précisé dans le tampon sec apposé à l’angle en carton de chacune des épreuves ) a installé ses gradins et ses bancs devant le mur couvert de lierre…

Les 42 invités y ont pris place, des plus jeunes aux plus âgés, en respectant l’ordre traditionnel des placements….

Les jeunes enfants sont assis par terre, au premier plan. En habits de fête, tenue sombre ou gris clair, avec col de marin pour les garçons. Culotte arrivant jusqu’aux genoux et laissant nu le bas des jambes…

Les fillettes sont en robe blanche, immaculée. Cheveux longs, séparés en deux couettes.. Petit nœud ou fleur de couleur blanche dans la coiffure.

Les mariés sont assis au 1er rang. Exactement au centre. A gauche de la mariée ont pris place ses parents, le couple Dezon. J’opère par déduction, n’ayant jamais connu ces gens , dont c’est la seule photo qui permet de s’en faire une représentation.

A droite du marié, on reconnaît ses parents :Anna Rebière, sa mère et son mari Antoine.

J’ai connu cet arrière grand père, mais je n’en garde absolument aucun souvenir ( il décéda, à 86 ans, d’un cancer de la prostate, le 23 Janvier 1952, dans notre petite maison de la Rue Jacques le Lorrain, car mes parents l’avaient recueilli pour lui prodiguer les soins que nécessitait son état ).

J’avais 3 ans et demi. Je revois une forme dans le grand lit de la chambre de devant.. J’entends des gémissements… Mes parents se précipitent et m’éloignent d’autorité, car je me suis approché pour voir ce qu’il se passe..

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                                                           Antoine   

                  

Numérisation_20171116 (8) (Large)                                                                Anna

C’est alors qu’ils décidèrent de me confier à mes grands parents maternels..On comprend bien pourquoi.. !!

Par contre, je me souviens fort bien de sa femme Anna. Elle m’appelait affectueusement «  Mon poulou «  ( En occitan : petit poulet.. ) et nous offrait, à chacune de nos visites avec mon père, de délicieuses meringues qu’elle réalisait à la perfection…

Avec l’âge, elle fut atteinte de sénilité et finit ses jours dans un hospice à Montpon ; le 4 février 1959 . A 82 ans. Moi, j’en avais 11 … La dernière année précédant sa mort, je redoutais les quelques visites dominicales que lui faisaient mes parents, car il n’y a rien de bien agréable, pour un petit enfant, à passer tout un dimanche après midi dans un endroit fermé, sentant mauvais, quelquefois.. et où l’on pouvait croiser des malades en piteux état. On avait beau m’expliquer ce qu’était un goître, par exemple, il n’en demeure pas moins que j’en restais très fortement impressionné.. !!!

Les autres invités de la noce me sont parfaitement inconnus… Et si j’arrive, par déduction, à situer la présence de Julienne, la plus jeune sœur d’Hélène, benjamine des filles Dezon ( au 2ème rang, debout, juste derrière son père, elle porte une robe claire ) , je ne saurais dire qui est Marguerite, la sœur aînée, alors qu’on peut penser qu’elle est forcément présente pour cette belle fête…

La seule chose que je puisse ajouter est que tous les invités sont sur leur Trente et Un, comme on dit, et que leur tenue vestimentaire semble témoigner d’une certaine aisance…

J’ajouterai, enfin, que la présence d’un photographe de la ville n’est pas une chose si courante. Il faut en avoir les moyens…

BON… Revenons à la photo de famille..

A part un seul, tous ces messieurs moustachus, ( c’est la mode..!! ), portent la cravate ou le nœud papillon. Costume trois pièces, très chic. La veste entr’ouverte de quelques uns laisse apercevoir une chaîne de montre.Pochette blanche pour la plupart et, pour certains, une fleur à la boutonnière. Tête nue..

Les dames, quant à elles, ont revêtu leurs plus beaux atours.. Robes longues, à taille haute, foncées ou de couleur… Presque toutes sont nue tête mais la coiffure est toujours impeccable.. Quelques unes arborent un camée, d’autres une chaîne en or avec un discret pendentif,

Tous les visages sont sérieux, car l’instant est solennel… !!!

Pour le reste, on peut imaginer qu’une ou plusieurs cuisinières ont été commandées pour réaliser le dîner de la noce. Car il faut prévoir une solide organisation pour régaler une telle quantité d’invités,,, !!!

Le dîner sera servi dans la grange. Elle a été nettoyée depuis longtemps et soigneusement balayée.. Sur les murs, tout récemment reblanchis à la chaux, on a accroché de belles branches plates de sapin. Et qui sentent bon, ma foi… Les demoiselles d’honneur y ont accroché des fleurs du jardin, blanches, de préférence… Ou quelques brassées de fleurs des champs.. Peut être des marguerites.. ?? On en trouve partout, en cette saison..

De même qu’au départ du chemin qui mène à la ferme du mariage, le sol caillouteux sera jonché d’herbes fraîchement fauchées et de feuillages bien verts….

Il faut montrer que c’est la fête, non… ???

Sur les tables dressées, en forme de U majuscule et recouvertes de nappes immaculées ( même qu’on en aura emprunté aux voisins, pour se dépanner… ) on a disposé la belle vaisselle, en porcelaine de Limoges et les jolis verres à pied. On ne les sort qu’aux grandes occasions, bien sûr, et en les maniant avec mille précautions.. !!! Mais en ce jour si particulier, le moment est venu de les utiliser…

Les enfants se contenteront de la vaisselle de tous les jours : assiette à calotte et verre tout simple.. C’est bien suffisant pour eux…!!

Dans chaque assiette, les invités trouveront la blanche serviette de table, brodée aux chiffres de la famille… On en glissera élégamment le coin dans le col de chemise, puis on l’étalera de façon à ce qu’elle recouvre la totalité du torse et du ventre, pour ne pas risquer de salir la belle veste du dimanche ou la jolie robe de fête…

Les couverts sont plus ordinaires, même si fourchettes et cuillères ont été tout récemment étamées… Quant aux couteaux, ça n’a pas bien grande importance, car, chez nous, en Périgord, les hommes ont habituellement le leur dans la poche et il est fort à parier qu’ils le préféreront à tous les autres.. !!

Enfin, pour faire joli, les demoiselles chargées de la décoration, ont ménagé, de ci de là, un chemin de table composé de fleurs du jardin fraîchement cueillies…

A la campagne, le dîner commence invariablement par le service du potage ( peut être un délicieux potage de poule ?) puis viendront les entrées ( pâtés de canard, galantines de dinde, asperges et œufs mimosa ) et les viandes. De la volaille rôtie, bien sûr, ( poulet ou pintade..) et du gigot d’agneau ( ou du rôti de bœuf ). Accompagnés de haricots verts et de pommes sarladaises en garniture. Salade à l’huile de noix et fromages maison, de vache ou de chèvre, puisqu’on élève ces bêtes pour leur lait et leur viande. Tout se terminera par un dessert copieux proposant aux gourmands de délicieuses tartes aux prunes, car c’est la pleine saison en cette fin du mois de juin…

On boira le vin de sa vigne… Et peut être que, pour la circonstance, on débouchera un vieux bordeaux.. ?? Les messieurs ne manqueront pas de «  tâter « à l’eau de vie de l’année passée, ( selon notre expression patoise ) à moins qu’on se lance sur un petit Cognac, en même temps que le café et les biscuits secs qui vont avec.

Certains des invités n’hésiteront pas, devant l’insistance, à y aller de leur chansonnette… peut être «  les blés d’or.. » ??? Bien peu en connaissent l’auteur.. Mais si Armand Mestral reste pour eux un parfait inconnu, pratiquement tous les convives, cependant, reprendront en choeur le refrain de cette belle chanson paysanne…

Rappelez vous….

Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !

https://www.youtube.com/watch?v=Fo3qC_fq7FA

N’est ce pas que c’est très beau… ???

Et si l’on a cette chance, on dénichera bien quelque accordéoniste de passage, histoire de se dégourdir les jambes avec une gigue, une bourrée ou, comme chez les riches, une vraie valse à trois temps.

Le repas durera longtemps, car ce n’est pas si souvent que la famille dispersée se retrouve.. L’occasion est bien belle de pouvoir à la fois se réjouir et s’amuser, et oublier, un temps, en bavardant agréablement, les durs travaux des champs et, surtout, ces terribles années de guerre qui ont meurtri tant de familles dans notre pays… !!!…

Les enfants ont dîné à part, sur une table voisine : quelques planches de chêne posées sur des tréteaux. Du coup, on les a couchés de bonne heure et ils dorment déjà, saoulés de tous leurs jeux, mais heureux de la fête, eux aussi…

Les invités venant de loin, arrivés de la veille, par le train ou en voiture à cheval, ont été logés chez les voisins ou les amis… Ils ne repartiront que le lendemain ou le surlendemain…

Donc pas d’inquiétude s’ils en viennent à tituber un peu, ce soir…. Car tout a été prévu pour leur rendre le séjour agréable et ils ne rentreront pas le ventre vide, comme on dit.

L’essentiel est que tout le monde soit content et garde le meilleur souvenir de cette jolie noce, car, en ce temps là, pas d’appareil photo… ou même de carton d’invitation ou de menu en face de chaque convive…

Rien qu’on puisse conserver de l’événement, à part ce qu’en pourra retenir la mémoire des uns ou des autres…

Je ne sais pas où s’installa le jeune couple… Probablement chez Antoine et Anna. La maison n’était pas bien grande, certes : un escalier , au centre de la façade orientée plein sud, donnait accès à la cuisine.. De part et d’autre, une chambre à coucher… Sur le côté de la maison, un hangar de bois pour le rangement des outils, marmites et autres accessoires volumineux… Une cave bien fraîche abritait les barriques, conserves et bocaux.. et ces mille petits objets qu’on y trouve habituellement.

C’est donc là que naquit, le 20 Mai 1920, onze mois après leurs noces, leur fils, Robert André, mon père.

Après quoi, hélas, Louis vit son état de santé se dégrader de plus en plus. Au point qu’il mourut, le 9 Juin 1921, des suites de ses blessures de guerre. Après seulement 2 ans de mariage. Son fils Robert avait 13 mois. Il fut donc reconnu pupille de la nation et sa pauvre mère, Hélène, veuve de guerre.

Mourir gazé, ce n’est pas la même chose que mourir brutalement, d’un accident, d’un AVC ou d’une crise cardiaque, n’est ce pas… ???

Mon grand père maternel, Maurice Cherchouly, souffrait d’emphysème…

Quand il avait une crise, on entendait «  gargouiller « ses poumons et on comprenait, immédiatement, qu’il manquait d’air et s’étouffait… Le visage rouge, les lèvres cyanosées, il devait absolument cesser tout mouvement et prendre appui sur tout objet pouvant le soutenir… Car ses forces le quittaient brusquement.. Coupé en deux, il attendait que ça passe, contraint d’expectorer ou de cracher, pour que rien ne fasse obstacle au passage du moindre filet d’air…

C’était très éprouvant pour lui, bien sûr… Et l’entourage, démuni et impuissant, en était réduit à lui tenir compagnie, restant auprès de lui pour le soutenir, éventuellement, en cas de perte de connaissance. Maurice ne supportait pas d’être assis, dans ces moments là.

Petit à petit, il retrouvait son souffle. Le sifflement s’atténuait, même si son visage restait longtemps congestionné…

C’était ainsi….

Et ça permet d’imaginer ce qu’a vécu ma pauvre grand mère, quand son mari de 23 ans a commencé à décliner. Sauf que, dans ce cas là, l’ypérite avait fait des ravages…

Elle a dû assister son homme à chaque crise, de jour comme de nuit… Le voir dépérir, peu à peu, inexorablement, dans des souffrances que rien ne pouvait soulager. Toussant à s’arracher les poumons. Congestionné. Abattu.

Peut être aura-t-elle prié pour lui.. ?? Pour qu’il ait un sursis, un semblant de vie, comme d’autres blessés du poumon, autour de lui… Prier pour qu’il puisse profiter de son petit enfant qui commençait tout juste à marcher..

Imaginez vous cette femme torturée, avec un nourrisson qui demande des soins et de l’amour, jour et nuit . Nuit et jour. Le nourrir. Le laver. Le dorloter.

Parce que la vie est là et qu’elle a ses exigences…

Et de l’autre côté, son homme. Que la mort guette et qui va partir… Dans la douleur… à 25 ans…

Oui, ce doit être une fin terriblement douloureuse, que de périr par étouffement et asphyxie… !!!

Maudite soit la guerre… !!!

Et alors qu’à cette heure terrible, c’était si dur pour cette femme infortunée, comment n’aurait-elle pas pensé au lendemain, en se demandant de quoi il serait fait.. ??

Louis repose, depuis bien longtemps, au cimetière du Nord, à Périgueux. Avec ses parents, Antoine et Anna qui l’ont rejoint trente ans plus tard…

Chaque année, à la Toussaint, nous nous y rendions tous les trois.Ma mère déposait sur leur tombe, ( en pierre, énorme et massive comme on les faisait autrefois ) un bouquet de 4 superbes chrysanthèmes jaunes dont elle avait passé commande au René Marty, le jardiner, notre voisin des Mondoux..

Je sais où se trouve cette tombe, mais je ne la fleuris pas…

Commence alors une période de 7 ans où je perds la trace de ma grand mère paternelle…

Je la retrouve sur un document manuscrit de la Mairie de Périgueux. Il est en date du 21 août 1928 et précise, qu’à cette date, «  Hélène Dezon, épouse Rebière Louis Pierre, cultivatrice, demeurant à Périgueux, Rue Combe des Dames, déclare avoir l’intention de prendre la suite d’un débit de boissons alcooliques, sis à Périgueux, rue de Paris N°14 et déjà exploité par Mme Borie… »

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Entre le 9 juin 1921, où Hélène se retrouva veuve, et le 21 août 1928, date à laquelle elle prit la succession d’un commerce, sis Rue de Paris ( aujourd’hui : avenue Georges Pompidou ), je n’ai rien retrouvé qui puisse indiquer ce qu’a été sa vie…

Comme quoi, on croit connaître les gens de sa propre famille, on pense tout savoir de leur vie… et voilà qu’une bonne partie de leurs parcours a disparu à jamais…

A défaut, il faut faire preuve d’imagination. Il n’y a pas d’autre solution.

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                           La petite épicerie, 14 Rue de Paris.

Pendant un temps, Hélène a dû trouver refuge, avec son fils, soit chez ses parents, où sa plus jeune sœur Julienne aurait pu l’aider, au quotidien, à élever son fils… soit chez ses beaux parents.

Cette dernière option a ma préférence, car mon père était très attaché à ses grands parents Rebière. De leur vivant, il leur rendait régulièrement visite et c’est chez mes parents qu’Antoine est venu finir ses jours… Par contre, je ne me souviens pas qu’il m’ait parlé de ses grands parents Dezon…

Mais tout ça n’est que supposition…

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                  Robert Rebière, avec ses grands parents, Antoine et Anna.

Je retiens, tout de même, que le récépissé délivré par la Mairie de Périgueux en 1928 précise que Hélène Rebière habitait alors rue Combe des Dames, sans préciser à quel numéro… ( Peut être déjà au 103… ??? C’est une bien grande maison pour une mère et son fils… A moins qu’elle ait pris des pensionnaires, comme je l’ai vue faire plus tard… J’en reparlerai..)

J’en conclus toutefois qu’elle avait un peu d’ autonomie concernant l’éducation de son fils, déjà écolier à cette époque.

Par contre, il est mentionné, sur ce même document, qu’elle est cultivatrice…

Je suppose qu’elle a trouvé, une fois veuve, à s’employer à la ferme du Grand Puy Bernard… C’était une paysanne et elle connaissait parfaitement le travail de la terre…

Reste qu’il a bien fallu, à un moment, chercher un emploi plus stable, ou plus rémunérateur… Hélène a peut être bénéficié des conseils de ces «  sociétés «  philanthropiques qui ont fleuri, après la 1ère guerre, et dont l’objectif était d’apporter aide et accompagnement aux veuves, aux invalides, aux blessés et aux nombreux orphelins…

Déjà, lorsque l’état de santé de son mari s’est aggravé, on peut penser qu’elle a été épaulée par de telles associations. Les anciens combattants représentaient alors une réelle force, partout en France et ont joué un rôle capital par leurs différentes actions, à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie politique, sociale et économique de notre pays.

Les veuves de guerre, on le sait, pouvaient bénéficier de certains emplois «  réservés « dans les grandes villes, et, chaque fois que possible, dans les municipalités de moindre importance…

C’est, peut être, cet «  avantage «  qui a favorisé ma grand mère pour obtenir l’autorisation d’ouvrir ce débit de boissons de la route de Paris. En vérité, une petite épicerie, qui faisait également bar-restaurant pour les quelques pensionnaires du midi et les gens de passage…

Rétrospectivement, je salue son courage… Chapeau.. !!

A partir de ces années là, je peux faire appel à ma mémoire, même si mon père n’a pas souvent évoqué cette période…

La famille – ici réduite à sa plus simple expression : une mère et son fils – occupa un petit appartement aménagé à l’étage, au dessus de l’épicerie… Mon père y avait sa propre chambre et c’est là qu’il faisait ses devoirs, au retour de l’école…

Il ne garda pas un souvenir très agréable de toutes ces années, où sa mère a tenu son commerce. Pour la bonne et simple raison qu’elle n’avait pas beaucoup de temps pour s’occuper de lui..

Son travail la prenait constamment, en effet.

Car, non seulement il fallait faire tourner l’épicerie, mais encore, au midi, elle devait faire la cuisine et servir les clients… Et, même si l’on est bien organisé, il est facile de comprendre que la gestion de ces deux commerces, l’épicerie et le bar-restaurant, prenait énormément de temps et d’énergie. Passer les commandes ( il n’y a pas encore de téléphone, je le rappelle ), réceptionner et contrôler les livraisons, stocker la marchandise ( pas de réfrigérateur ou de congélateur, non plus.. ), disposer les articles en vitrine, accueillir la clientèle, la servir ( avec le sourire.. !! ), encaisser, tenir les registres de la comptabilité, payer les différentes taxes, les impôts.. que sais-je encore.. ???

Rajoutons la tenue du foyer, le ménage, la lessive, le repassage… et on aura une petite idée de ce que fut sa vie à l’époque.

Et cependant, je suis persuadé qu’elle trouvait encore de peu de temps pour tricoter ou raccommoder.. !! ( Ma main à couper… !! )

Les années passant, elle reprit goût à la vie. Son activité professionnelle y est certainement pour beaucoup, car cette femme avait le sens de l’accueil et du service..

Elle faisait volontiers la conversation avec les uns ou les autres, veillant au confort et à la satisfaction de sa clientèle, essentiellement des gens de la campagne… Ils aimaient bien y faire une petite halte, à l’aller ou au retour de leur village… venant de toutes ces bourgades et autres hameaux situés sur la route de Paris, en partant de Périgueux pour aller jusqu’à Ligueux, Sorges, les Potences… Et peut être même au delà…

On échangeait, autour d’un verre, les dernières nouvelles, de plus en plus inquiétantes avec les troubles de la vie politique en France et la montée des fascismes, en Italie comme en Allemagne, la guerre civile en Espagne…etc, etc..

Mon père était entré au lycée de garçons en 1931. Il y fit des études difficiles, avec des résultats le plus souvent médiocres, voire insuffisants… Lui même reconnaissait qu’il n’avait pas suffisamment travaillé et que la présence d’un père lui avait cruellement manqué.

«  Ne serait-ce que pour lui botter les f… de temps en temps «  précisait-il…

Conscient qu’il lui fallait trouver une solution, il se tourna – tout naturellement – vers le PO , où – avant lui – son père ( Louis ), son grand père ( Antoine ) et son arrière grand père ( Philippe ) avaient fait toute leur carrière.. Il passa donc, en juin 1935, le concours d’entrée réservé aux enfants de cheminots, pupilles de la nation… Admis parmi les premiers, il commença ses trois années d’apprentissage le 1er octobre de la même année.

A la grande satisfaction de sa mère qui en éprouva un immense soulagement . On peut la comprendre… !!

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                   Robert Rebière, au centre, avec ses collègues du PO.

Rassurée quant à l’avenir professionnel de son fils et, sans doute, parfaitement épanouie dans son travail, Hélène fit alors la connaissance de Jean Pijassou, de Sorges. Je n’ai jamais su dans quelles circonstances… Peut être était-il, tout simplement, un client régulier.. ?? Ou un pensionnaire, car, en ce temps là, il habitait rue Petit, à Périgueux, et on peut très bien imaginer qu’il se rendait très régulièrement au petit restaurant de la route de Paris, car il était veuf, donc seul, et travaillait à la SNCF, comme chef de train, c’est à dire sur Périgueux ville…

Les PIJASSOU….

Jean Jules Pijassou naquit le 8 août 1898 à Sorges, petite commune située à 19 km au nord-est de Périgueux et à 12 km au sud-ouest de Thiviers, sur l’actuelle nationale 21 ( Périgueux / Paris, via Limoges ).

C’était le fils de Jean Léon Pijassou et de Marie Guichard.

Ses parents devaient être, vraisemblablement, des paysans… métayers ou fermiers… Car, à l’époque, Sorges est une commune exclusivement rurale, où l’on cultive le blé et le maïs. On y trouve aussi des noyeraies, comme ailleurs, dans ces coins de Dordogne… Mais la commune est surtout connue par ses truffières qui donnent, chaque année, plusieurs centaines de kg de truffes… ( Aujourd’hui, après avoir très sérieusement périclité, la récolte du diamant noir repart à la hausse, sans toutefois retrouver – loin s’en faut – les rendements d’avant la grande guerre… !!! )

Je ne sais s’il avait des frères ou des sœurs… Je ne me souviens pas qu’il en ait jamais parlé….

Par contre, il prit part à la guerre de 14… Probablement dans l’infanterie, car il fut blessé en montant à l’assaut, dans les premiers jours de novembre 18… Une balle ennemie lui traversa l’épaule gauche, sans, toutefois, provoquer de gros dégâts.. !!

Il en parlait quelquefois, tout heureux de s’en être tiré à si bon compte, à quelques jours de l’armistice, qui mit fin à cette sinistre hécatombe… Il me semble l’entendre encore évoquer ce fait d’armes, d’une voix plutôt douce et agréable pour un homme, mais incapable de prononcer un «  R «  sans le «  rrrrrrrouler « …

Il entra au PO en 19 ou 20, dans le personnel roulant, puis épousa Jeanne Morteyrol … Le couple eut deux enfants : René, né le 2 juin 1922 à Ligueux, et Reine, née dans le même village, en 1926, La maman décéda par la suite, mais j’ignore quand et pourquoi…

Toujours est-il qu’il épousa, en secondes noces, ma grand mère, Hélène Dezon le 21 janvier 1939, à Périgueux.

Le couple habita alors la grande maison du 103 de la rue Combe des Dames.. Chacun avec ses enfants : mon père , Robert, avait 19 ans, René Pijassou 17 et sa sœur, Reine, 13 ans…

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                 Mariage de Jean Pijassou et d’Hélène Rebière née Dezon.

Quelques propos de mon père, bien des années plus tard, me firent comprendre que la cohabitation ne fut pas toujours facile avec Reine, mais il avait son travail, ses collègues, ses amis et, très rapidement, par la suite, les événements liés à l’entrée en guerre de notre pays changèrent complètement la donne…

Il rejoignit les chantiers de jeunesse en 1941, partit en Allemagne, au titre du STO, en 1943 et, à son retour, alla rejoindre le maquis de la Brigade Alsace Lorraine.

J’ai raconté, par ailleurs, comment il prit part aux combats de St Astier en août 44, qui lui valurent la croix de guerre… Ainsi que son mariage avec Georgette Cherchouly le 28 avril 1945 .

Autrement dit, le remariage de sa mère ne le perturba pas outre mesure… J’ajoute qu’il s’entendit fort bien avec René Pijassou et que, par la suite, cette amitié et cette estime réciproques ne se démentirent jamais… Les deux familles se fréquentèrent régulièrement des années durant…

J’ai fort bien connu René Pijassou. Il était alors professeur à la faculté de géographie, à Bordeaux III Talence.. après avoir débuté comme instituteur à la campagne… A force de travail et de ténacité, il passa son agrégation, puis se fit connaître et estimer par ses travaux de recherche sur le vignoble et les grands vins du bordelais ( plus spécialement du Médoc )

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                               Robert Rebière aux Chantiers de Jeunesse (1941 )

. René Pijassou a écrit quelques ouvrages très documentés, ainsi qu’une thèse qui fait encore autorité de nos jours ( doctorat d’état en 1978 ) et pour laquelle il obtint le prix de la Société de Géographie en 1982.

Il épousa Marie Jeanne Beylot, de Ligueux ( petite commune voisine de Sorges ). Le couple eut 3 enfants : Alain, Françoise et Brigitte, que j’ai bien connus jusqu’à mes 18 ans, mais complètement perdus de vue depuis…

René décéda en 2007 ,

http://data.bnf.fr/11919805/rene_pijassou/

Quant à sa sœur cadette, Reine, Pijassou, plus personne n’eut de ses nouvelles, après son mariage avec un certain Monsieur Dussutour, militaire de carrière… J’ignore pourquoi…

Elle décéda en 2012.

Les circonstances ont donc fait que j’ai toujours considéré Jean Pijassou comme mon grand père paternel.. Il avait beaucoup d’affection pour moi.. et c’était réciproque, car c’était un très brave homme, comme on dit. Plein de qualités, dont la gentillesse n’était pas la moindre…. Toujours de bonne humeur, souriant, avenant, il partageait, avec sa femme, le plaisir de bien recevoir et tous deux menèrent une vie simple, dans une parfaite entente, que je trouvais particulièrement sympathique et communicative….

Cette nouvelle vie devait parfaitement convenir à ce nouveau couple, si bien que ma grand mère décida de céder son épicerie-restaurant de la Route de Paris, le 16 avril 1942, après 14 ans d’activité professionnelle… Elle se consacra, alors, entièrement à son nouveau foyer , qui comptait, maintenant, trois membres de plus…

La connaissant bien, je suis certain qu’elle trouva toujours quelque chose à faire.. Elle ne supportait pas de rester sans s’occuper… !!

De son côté, Jean Pijassou, en tant que chef de train, effectuait, plusieurs fois par semaine, la liaison Périgueux-Bordeaux qu’il connaissait par cœur… Les gares, les tunnels, les divers embranchements de cette ligne n’avaient plus de secrets pour lui…

C’est, très certainement, la raison pour laquelle la résistance, qui s’organisa en Dordogne à partir de fin 43, début 44, lui demanda de communiquer tout ce qui pouvait concerner cette ligne hautement stratégique : elle ne comporte, en effet, aucun tunnel entre Périgueux et Coutras, important nœud ferroviaire reliant le grand Sud Ouest à Paris…

Tout renseignement était donc précieux : le lieu de stationnement ou le déplacement des troupes allemandes, la circulation du train de protection ( qu’on appelait, chez nous, le «  train blindé « ) ou tout autre élément susceptible d’intéresser les maquis de l’AS ou des FTPF. ( Armée secrète : gaulliste ou Francs Tireurs et Partisans Français, d’obédience communiste )

Son contact dans la résistance, est un instituteur d’origine alsacienne, Antoine Diener, «  Ancel « pour le maquis. Marié à une périgourdine, il fuit, dès 1940, l’Alsace annexée par le Reich nazi et rejoint la maison familiale de sa femme à Ligueux.

http://comebal.free.fr/BIAL_Free/Fiches_bio_files/Ancel.pdf

Jean Pijassou le connaît fort bien, évidemment. Et ceci explique cela…

Du reste, c’est lui qui présenta mon père à Diener/Ancel, lorsqu’à son retour du STO pour raisons médicales, fin 43, il refusa de retourner en Allemagne et, sur les conseils de ce grand résistant, alla se planquer sous un faux nom aux usines Cimchaux de St Astier, en attendant de rejoindre le maquis de Durestal au jour du débarquement… ( le témoignage de mon père figure dans ce blog… )

Au passage, je rappelle que les maquisards résistants de la Dordogne et la;population civile ont payé le prix fort dans leurs combats pour ralentir la progression des troupes allemandes remontant vers le front de Normandie..

– Rouffignac, commune martyre à 30 km à l’est de Périgueux a été totalement pillée, puis presque entièrement brûlée, le 31 mars 1944, par des éléments de la division Brehmer, venus exercer des actions de répression contre les maquis locaux…

– à Mussidan, les FTPF attaquèrent, avec succès, le train de sécurité , le 9 juin 44, mais des troupes allemandes arrivèrent en renfort et les représailles furent terribles : 52 otages furent fusillés le 11 ; dont le Maire de la ville qui avait cherché à sauver le plus grand nombre possible de ses concitoyens.. !!

– le 21 juin 44, à Mouleydier, ( 10 km à l’est de Bergerac ) la 11ème division de la Wehrmacht, remontant vers la Normandie, va entièrement piller, puis incendier, ce charmant petit village des bords de la Dordogne, après des combats sans merci l’opposant aux maquisards du coin… 22 jeunes résistants y trouveront la mort… !!!

– enfin, entre le 4 juin et le 17 août 1944, 45 otages furent extraits des geôles du quartier Dausmenil, à Périgueux et exécutés, dans la cour arrière de cette caserne, par la garnison allemande, juste avant qu’elle ne quitte la ville, le 19 août… Tous résistants. Le plus jeune avait 16 ans. Le plus âgé : 56.

http://resistancefrancaise.blogspot.fr/2017/11/le-mur-des-fusilles-perigueux.html

Toutes ces actions de harcèlement, organisées par la Résistance, permirent de retarder l’arrivée des renforts allemands, qui avaient pour mission de contrer l’avance des armées alliées..

L’Histoire a pris en compte ces sacrifices consentis au nom de la Liberté.

Mais, malgré tous leurs efforts et leur courage, jamais la résistance ne put bloquer la ligne stratégique Périgueux-Coutras… Car elle était devenue d’une importance vitale pour les allemands, qui la protégèrent efficacement, par l’envoi de nombreuses troupes, particulièrement aguerries. De sorte que bon nombre de chars lourds et de blindés de la division «  Das Reich «  purent ainsi l’emprunter pour remonter vers la Normandie… Fin juin… ,

Par la suite, c’est par cette même ligne ( et la nationale 89 qui lui est parallèle ) que les dernières troupes d’occupation nazies évacuèrent, le 20 août, les villes de notre département, dans le but de se regrouper sur Bordeaux, puis, ensemble dès le 23, tentèrent de regagner directement l’Allemagne…

Voilà…

Les personnages sont en place…

Hélène et Jean seront désormais pour moi «  Mamie Hélène «  et «  Pépé Jean «

Mes grands parents PIJASSOU…

J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour eux et la réciproque était vraie… Mais les circonstances ont fait que j’ai été élevé, en partie, par mes grands parents maternels, carrément de l’autre côté de la ville …

Du coup, j’allais moins souvent au 103 de la rue Combe des Dames…. Suffisamment, tout de même, pour conserver, de mes rares séjours chez eux, des souvenirs qui ont marqué le petit enfant que j’étais.. Allez savoir pourquoi…

Chez les Pijassou, le rituel était des plus simples… Comme à la campagne, je dirais…

Au matin, pour le petit déjeuner, on me servait un grand bol de lait chaud, dans lequel ma grand mère mettait à tremper des petits dés de pain sec qu’elle avait préparés devant moi, peinant à découper une tranche de tourte, dure comme du bois.. !! C’était la tradition. Elle avait toujours connu ça. Ni beurre .. Ni confiture… Mais c’était bien bon, tout de même.

( Pas question de jeter le pain, à cette époque… !! Il avait été, autrefois, si dur à gagner… Les gens de cette génération se souviennent encore de ces périodes sombres où il avait manqué.. Quand la huche restait désespérément vide.. Alors, pour remercier le Créateur de leur avoir donné le pain quotidien, le maître de maison ne manquait jamais, au moment d’en entamer un nouveau, de le bénir, en traçant sur la croûte blonde de la tourte hebdomadaire, une petite croix avec la pointe de son couteau… Pour rendre grâce.. et ne pas oublier … )

Arrivait alors le grand père. Rasé de frais, tout heureux, il venait me faire «  étrenner sa barbe « , c’est à dire m’embrasser… !!! Il avait la peau très douce et sentait bon l’après rasage…

Puis il se préparait à partir pour la ville. En tenue de ville, précisément, car il aimait être bien habillé. Chaussures de cuir, pantalon de coton noir ou bleu foncé, chemise à carreaux et cravate, petit gilet de laine tricoté par sa femme et une veste de couleur foncée.

Plus le béret, évidemment.

Il grimpait sur son vélo ( et plus tard, son solex..) .. et en avant, le voilà parti retrouver ses copains boulistes sur le cours Tourny, devant la préfecture.

Cette place, ombragée de platanes centenaires, servait de foirail à l’occasion.. Il m’y emmenait, de temps en temps, pour me faire voir les vaches limousines, au pelage roux soigneusement brossé, les petits veaux, joueurs et turbulents, incapables de se tenir tranquilles dans leur parc ou encore,les puissants taureaux reproducteurs, inspirant le respect aux nombreux visiteurs.. Et même la crainte pour un petit enfant comme moi.. !!

On entendait de loin caqueter les volailles de toutes races, dont certaines, avec leurs longues plumes, me faisaient penser à des danseuses… Je n’aurai garde d’oublier les moutons, rassemblés – bien serrés – et bêlant à qui mieux mieux… Mais ce sont les chèvres que je préférais.. Les petites, blanches ou brunes, qui se laissaient facilement caresser.. Elles avaient toujours beaucoup de succès et les enfants se pressaient, autour de leurs stalles…

Ces animaux de la ferme étaient familiers à mon grand père. Car ils avaient constitué tout son univers, à Ligueux comme à Sorges…

Bien entendu, Jean Pijassou connaissait pratiquement tous les exposants et passait de longs moments à discuter avec ses nombreuses connaissances… De mon côté, je trouvais le temps long, car ils ne parlaient guère que le patois entre eux.. Et, même si je comprenais un peu, ils évoquaient trop de gens ou de faits qui m’étaient inconnus…

Ces sorties se concluaient généralement par une « grenadine «  pour moi et un verre de blanc, pour lui.. Avec, parfois, un éclair au chocolat ou une autre pâtisserie… !!

Et des souvenirs plein la tête, qu’il faisait bon évoquer, le soir, avant de s’endormir… !!!

A la maison, par contre, le Père Jean retrouvait le bleu de travail et les sabots de bois…

Il passait beaucoup de temps dans son jardin potager, de même que sa femme et, à eux deux, faisaient venir de délicieux légumes, poireaux, salades, radis, tomates, bettes, courgettes etc… tout au long de l’année…

La grand mère s’occupait des fleurs et lui, de sa tonnelle où ils avaient l’habitude de prendre les repas aux beaux jours… Le soir, la fraîcheur était bien agréable…

Ils avaient, à l’arrière de la maison, une petite basse cour… Les pauvres volatiles ne voyaient jamais de verdure, enfermés entre 4 hauts murs.. Mais, bon.. Mes grands parents ne pouvaient concevoir une maison sans jardin ni basse cour.. !! Et, lorsqu’il leur arrivait de recevoir des invités à déjeuner ou à dîner, on était sûr qu’il y aurait, au menu, un excellent poulet rôti ou, l’hiver, une délicieuse poule au pot…

D’autres fois, ils régalaient leurs hôtes avec un lapin rôti, puisqu’il y avait aussi un clapier, comme vous l’avez deviné… !!

Je me suis toujours demandé si leurs voisins n’étaient pas un peu sourds… Car, du matin au soir, du chant du coq au caquètement quasi ininterrompu de ces 4 ou 5 volailles ayant pondu leur œuf, nul ne pouvait ignorer, alentour, la présence de cet élevage ( urbain..!!!)…

Le soir, le dîner comportait invariablement une soupe.. Délicieuse, ma foi… J’adorais la soupe de fèves… ou de haricots.. !! La grand mère y ajoutait de fines tranches de pain de tourte pour lui donner du corps ( le vermicelle étant réservé aux grandes occasions.. avec un bouillon de vieille poule maigre, par exemple..) et, à la fin, le grand père versait un peu de son vin rouge dans l’assiette à calotte.. pour faire «  chabrol « .. Immanquable.. !! La tradition, quoi.. !!

( Plus tard, j’ai voulu tester à mon tour ce rituel ancestral (!), mais j’avoue que le mélange soupe/vin rouge ne m’a pas emballé… !! )

Généralement, la soirée se poursuivait par une partie de cartes avec Julienne et Maxime Dubois, venus en voisins.. On s’installait, alors, dans la cuisine, en réalité la pièce la plus grande – et, selon moi, la plus accueillante de la maison…

C’était la seule, du reste, qui était régulièrement chauffée durant la saison froide… Oh certes, les deux chambres à coucher de l’étage possédaient, chacune, une cheminée d’angle, en marbre noir, mais y entretenir un feu en permanence n’était guère commode et mes grands parents avaient conservé cette habitude campagnarde d’aller se coucher dans une pièce glaciale sous une pile de couvertures et un énorme édredon de plumes…

D’une façon générale, cette grande maison, de conception ancienne, n’avait aucun confort.. Pas de salle de bain, non plus… Le grand père avait l’habitude de se rendre régulièrement aux douches municipales.. A vélo, car l’établissement de bains se situait assez loin de leur domicile.. Mais ça lui faisait une sortie et l’ambiance y était, paraît-il, plutôt agréable…

Les WC avaient été rajoutés bien des années après la construction de la maison.. A l’extérieur… Mais, pour s’y rendre, il fallait sortir sur le perron arrière, grimper quelques marches et passer devant la fenêtre de la cuisine.. ( On voyait seulement le bas des jambes de l’usager passer à hauteur de vos yeux.. !! )

Et l’hiver, on se gelait, bien sûr…

Pour tout dire, s’il vous est arrivé de voir, un jour, le film «  mon oncle « , eh bien sachez que la demeure de mes grands parents m’a toujours fait penser à la maison tarabiscotée de Jacques Tati… !!! Avec ses coins, ses recoins, ses escaliers intérieurs et extérieurs, ses deux caves, son cellier, sa cuisine d’été ( en bas ) et sa cuisine d’hiver ( en haut ), ses deux greniers, sa pièce mansardée, sans oublier la minuscule chambrette sous le toit… !!!

Peut être l’oeuvre d’un architecte fou… ???

Quant à la salle à manger, avec son mobilier Henri II, si solennel et si triste, elle ne servait qu’aux grandes occasions, pour les repas officiels… En hiver, on y allumait un feu de belles bûches de chêne ou de châtaignier et les dames venaient se réchauffer un instant devant la cheminée de marbre… Il y faisait «  bon chaud «,  comme le disent volontiers les hauts savoyards, et l’éclat, toujours renouvelé de ses flammes, faisait étinceler les bibelots de cuivre, obus sculptés de la guerre de 14, dressés sur des napperons blancs, de coton brodé, disposés sur toute la longueur du manteau…

Revenons à notre partie de cartes…

Invariablement, les dames jouaient contre les messieurs.. Et parfois, le ton montait un peu, car les hommes n’aiment pas perdre et pardonnent bien rarement une erreur ou une étourderie… Ce qui faisait bien rire les deux sœurs, parfaitement complices, de sorte que la partie continuait, à nouveau détendue, puisque rien ne valait qu’on se dispute, n’est ce pas.. ??

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                                    Maxime Dubois et Julienne.

De mon côté, ne comprenant rien à la belote, je jouais avec les jetons de bois de toutes les couleurs, qui servaient à compter les points… A la fin de chaque partie, je les répartissais selon le score des joueurs : 10 points pour les ronds, 50 pour les petits rectangulaires et 100 pour les grands..

En attendant, je passais le temps en construisant des maisonnettes avec le reste des jetons et m’amusais à regarder les personnages en relief, figurant sur le battant de la pendule comtoise, se balancer à chaque mouvement… «  Tic – tac… tic – tac… «

Rien de plus apaisant, en effet, que le bruit régulier du balancier, même lorsque la sonnerie se déclenchait, tous les quarts d’heure, ou aux heures pleines, qu’elle marquait par deux fois…

Répétant alors ce tintement si joli qu’on pouvait entendre dans toute la maison, de jour comme de nuit…

Puis chacun rentrait chez soi. Et moi j’allais dormir dans la chambre glacée de ma grand mère..

Un peu à l’écart de la ville, mes grands parents avaient acheté, sur les hauteurs de Périgueux, en haut de la route de Paris, un joli bout de terrain, où ils avaient planté une vigne… Sur le côté, un petit cabanon de parpaings, recouvert d’un toit d’ardoises, servait d’abri aux outils nécessaires au travail de la vigne, mais on y trouvait aussi – sait on jamais – une table et des chaises pliantes, assiettes, couverts et tout ce qui permet d’improviser un solide casse croûte en cas de nécessité.

Attenant, une citerne de ciment recueillait les eaux de pluie…

Ma grand mère s’y rendait volontiers à vélo, avec son tricot dans son cabas, au cas où elle n’aurait pas trouvé de quoi s’occuper sur place… ça n’arrivait jamais, bien entendu…

Une fois, elle m’y avait emmené. Il avait fallu marcher un bon moment, mais, on avait retrouvé le grand père en train de labourer sa vigne… Chose étonnante pour l’enfant que j’étais. Il s’était fait prêter une paire de vaches par un de ses amis et dirigeait sa charrue avec adresse entre les rangs de vigne… Il me confia un bâton noueux, avec pour consigne, de taper sur «  la brune «  quand il me le demanderait, car elle avait tendance à traîner et ralentissait l’attelage, qui partait de travers…

On peut imaginer que je n’étais pas très rassuré, marchant aux côtés de l’énorme ruminant.. Et je n’ai pas dû lui faire beaucoup de mal, le peu de fois où il m’est arrivé de la frapper..

«  Tape.. !! Tape la brune.. !! «

Mais la brune avançait à son train, sans tenir compte des menaces du grand père ni de mes encouragements… La bave lui coulait du museau, tenu enfermé dans une sorte de muselière en grillage ( pas question, en effet, de goûter aux feuilles de vigne, au passage ..) … Et des oeillères lui masquaient, en partie les yeux, sans les protéger des attaques des mouches…

L’attelage avançait ainsi, cahin-caha, au rythme lourd de ces puissants bestiaux…

Le demi-tour, en bout de rang, était plus délicat.. Pas facile, en effet, de faire manoeuvrer ensemble la paire de vaches, tout en guidant la charrue pour l’aligner dans le nouveau rang..

C’est, probablement, la seule fois de ma vie où j’ai vu ce brave homme s’emporter.. !!

( Mais il jurait en patois, langue que ne comprenaient pas les chastes oreilles citadines… !! )

Ce jour là, j’ai beaucoup apprécié le voyage du retour. Car, une fois le labour achevé, mon grand père attela la paire de vaches au tombereau et on regagna la ferme, au pas lent de ces braves bêtes. Ce qui laissait tout loisir d’admirer la campagne environnante, depuis le haut de cette charrette, où nous nous tenions debout… !!!

Qui dit vigne, dit – forcément – vendanges… !!

Le moment venu, par une belle journée de septembre, famille et amis étaient convoqués directement à la vigne de la route de Paris… Commençait alors la distribution de paniers d’osier et des ciseaux indispensables à la coupe… Quelques jours auparavant, le grand père les avait vérifiés, graissés et chapeautés d’un bouchon de liège, pour éviter qu’on ne se blesse, par mégarde, au pointu de leurs lames…

Chacun s’y mettait de bon cœur, petit ou grand, enfants comme adultes, et la troupe de vendangeurs progressait régulièrement et dans la bonne humeur…

Sur le coup des dix heures, tout le monde s’arrêtait pour le casse croûte, car on travaillait depuis tôt, le matin.. C’était toujours un bon moment de détente… J’aimais l’odeur du bon pain frais. Et le pâté de campagne était bien bon, lui aussi… Chacun bavardait en savourant cette pause bienvenue.. Les adultes essayant d’estimer la qualité du millésime ou la quantité de vin que mon grand père en tirerait…

Pas de femmes avec nous. Elles étaient restées à la maison pour préparer le déjeuner, qu’on ne prendrait, d’ailleurs, qu’en milieu d’après midi, car il fallait absolument terminer le matin même… !!!

Le paniers pleins de raisins – du bacot, rouge, uniquement – étaient vidés dans le broyeur, installé sur une barrique de bois. Un adulte en actionnait la lourde roue à manivelle et c’était un plaisir d’y voir dégringoler, dans un bruit de ferraille, le raisin écrasé ( y compris les rafles ).. et couler son jus vermillon… Et quand celle ci était pleine, on passait à la suivante… !!!

Plus tard, j’ai réalisé que l’opération la plus délicate était de ramener ces barriques de vendange à la maison de la rue Combe des Dames.. Il fallait les charger sur une charrette… les transporter avec les précautions que l’on devine… puis les décharger… les descendre à la cave, sur des brouettes sans ridelles, car le grand père y avait fait construire une imposante cuve en ciment…. Et enfin transvaser leur contenu, à l’aide de seaux de métal qu’on se passait de mains en mains… Le dernier homme se tenant tout en haut de l’échelle, au dessus de la cuve… Pas facile, fatigant et même dangereux, quand on y réfléchit… Ce travail harassant était effectué par les plus jeunes et les plus costauds, mais, de leur aveu même, ils en avaient les «  reins cassés « … !!

Le déjeuner des vendangeurs et des amis ( comme toujours ce genre d’événement ) donnait aux dames l’occasion d’exercer leurs merveilleux talents culinaires…

Je sais bien que, de nos jours, cette petite phrase suffirait à me faire traiter de «  macho «  et qu’on y verrait une sorte de ségrégation sexiste…

Et, très certainement à juste titre…

Mais nous sommes encore dans les années de l’immédiat après guerre, chez des gens d’origine campagnarde, plutôt modeste, et qui restent très attachés à la ruralité et aux traditions, certainement séculaires, d’une vie qu’ils ont toujours connue… Celle de leurs parents et de tous leurs aieux avant eux…

Je suis, du reste, frappé de constater que mes grands parents, aussi bien du côté paternel que du côté maternel, sont, à cette époque, des citadins de fraîche date et qu’ils ont la même conception de ce qu’est le bonheur idéal… En deux mots : une petite maison, avec sa cheminée pour faire du feu en hiver… un jardin potager pour y faire venir des légumes.. ( la base, ce sont les poireaux, les pommes de terre et les radis.. Avec un coin pour le persil et un pied de thym..)… et une petite vigne… ( Tiens… moi aussi, j’ai planté un pied de vigne, il y a 4 ans, au pied de l’escalier qui mène à ma terrasse… Et les raisins de muscat, qu’il me procure chaque année, suffisent à régaler voisins et amis, la saison venue…)..

Alors, oui… Les hommes se mettront à table et parleront à voix d’autant plus haute que leur verre se remplit de bon vin, heureux de ce moment de détente, en toute simplicité, après toutes ces années de guerre qu’ils ont connues, les privations de tout et la menace permanente qui pesait sur leur vie… Quand l’occupant nazi, après ses premiers triomphes, eut compris que la roue du destin avait tourné et que le Reich millénaire jamais ne s’établirait… Il se livrait alors aux exactions les plus terribles, pour un oui ou pour un non…

On se détendra pour repousser, le plus loin possible, ces horribles souvenirs pas si lointains.. et la prospérité revenue, peu à peu, avec la liberté…

Et tous apprécieront ces pâtés de foie de canard, produit maison, qu’il est coutume de faire au mois de janvier, en pleine saison d’hiver, dans la plupart de nos familles périgourdines…

Certaines ont leur filière, pour se procurer ces précieux organes.. d’autres les trouveront au marché au gras qui s’installe, au cœur de la ville, début décembre de chaque année…

Mais, disons le très simplement, un bon repas ne se conçoit pas, chez nous, sans ces fameux pâtés jaunes, comme disent les enfants, faisant allusion à la graisse de canard qui les recouvre par endroits… ( Cette graisse parfumée, on ne la mangera pas.. mais les fines cuisinières la garderont pour donner meilleur goût à un plat de haricots verts, par exemple.. voire même à une assiettée de pâtes… )

Quant à la truffe, cette exceptionnelle «  tuber melanosporum « , tout le monde n’a pas forcément les moyens d’en acheter… à moins d’avoir la chance exceptionnelle de posséder une truffière qui donne, et d’aller, soi même, caver le diamant noir avec sa truie dressée, son chien.. ou, tout simplement, à la mouche… !!! Du coup, quand elle est vraiment trop chère, on est contraint de s’en passer, mais ça reste, quand même, très très bon… !!!

Et les femmes, comme autrefois (et depuis deux mille ans dans les pays du pourtour méditerranéen ), resteront le plus souvent debout, pour mieux satisfaire les convives, surveiller attentivement la cuisson du plat principal – du lapin, en général … Et elles se réjouiront de pouvoir servir à leurs hommes cette viande bien dorée, avec ses pommes de terre rissolées, finement relevées de persil, accompagnées d’une généreuse platée de cèpes de chez nous, au fumet si subtil et appétissant, qu’on en salive par avance..

On a pris le temps, en effet, et comme chaque année, d’aller les chercher dans des bois bien connus, avant de les conserver dans ces bocaux qu’on ouvrira, quelques fois l’an, pour régaler tous ceux qu’on aime ou qu’on veut honorer…

Et c’est bien le cas, aujourd’hui, n’est ce pas… ??

Au dessert, on servira quelque tarte… mais la spécialité de la maîtresse de maison, ce sont les œufs au lait, parfaitement caramélisés, accompagnés de biscuits, langues de chat ou boudoirs…

De son côté, le père Jean, tout fier, a ouvert une bouteille de château Guiraud, un 1er grand cru de Sauternes et le servira, avec le plus grand soin, à des vendangeurs devenus soudainement respectueux, parce que sensibles à cet honneur insigne… !!

Quoi de mieux… ???

C’est ainsi que s’achèvera la grande fête annuelle… Dans la joie et la bonne humeur, comme on dit.

On oubliera bien vite la fatigue et le mal au dos… Et les années suivantes verront le rituel se poursuivre, aussi longtemps, du moins, que le permettra l’état de santé des uns et des autres…

En attendant, on se retrouvera, quelques jours plus tard, pour goûter le vin nouveau, ce fameux «  bourru « , à la robe si claire, presque jaunâtre, qu’il fait bon déguster avec quelques châtaignes…

Puis, après les deux ou trois semaines nécessaires à la fermentation alcoolique du raisin, le grand père soutirera le vin de l’année et le transvasera dans ses barriques, préalablement lavées, rincées et soufrées… Elles attendent, bien alignées dans le cellier voisin…

Peu importe, à vrai dire, si la production suffira pour l’année.. ou si le vin n’a rien d’un grand cru…

Non.. !!

Ce qui compte, dans le fond, c’est qu’on s’est inscrit, une fois de plus, dans une tradition bi-millénaire à la symbolique puissante….

Cette boisson qui réjouit depuis toujours le cœur de l’homme, synonyme de liesse quand les choses vont bien.. et de réconfort quand elles vont plus mal, voici que le clan élargi ( famille, amis, relations ) a pu la produire une fois de plus, sous la houlette du «  maître de maison «  qui rassemble et partage…

Singulière survivance du temps des patriarches…

C’est le signe, indubitablement, que l’année à venir restera favorable et que la prospérité, toute simple et bien relative, sera au rendez vous… Même chez les gens modestes, comme nous… !!!

C’est bien là l’essentiel… !!!

Et c’est la vie qui passe….

Un jour, mon père m’a offert mon premier rasoir. Avec les lames Gillette de rechange, le blaireau et le savon à barbe… Je m’en souviens encore comme une sorte d’adoubement… ( toutes proportions gardées, bien sûr..) «  Te voici un homme, mon fils… »

Débute alors pour moi, cette période où la jeunesse éprouve le besoin de prendre ses distances avec le milieu familial.. En tout cas, avec les plus anciens…

On a plaisir à se retrouver avec les copains du quartier, passer des soirées ensemble… On a appris, les uns des autres, à danser ( plus ou moins vite et plus ou moins bien..!!)…

Du coup, on va commencer à s’intéresser très sérieusement aux jeunes filles.. Au bal du samedi soir, dans la grande salle du «  Casino de Paris « , où l’on invite, gauchement, et le cœur battant, une belle inconnue à danser une série de slow, au son de la musique de l’orchestre Jacques Pian…….ou encore à l’occasion de quelques «  Boums «  organisées par les copains, tourne disques à fond ( lumière tamisée et atmosphère enfumée ) , on danse sur les derniers 45 tours à la mode…

La trilogie : twist, rock ‘n roll et slow…

Pour mettre un peu d’ambiance, on aura fauché une ou deux bouteilles de vin dans la cave des parents, car on n’a pas beaucoup d’argent de poche… Premières sensations d’ébriété, car il faut bien essayer, n’est ce pas.. ?? Mais le résultat est plutôt décevant…

On va s’efforcer de jouer aux grands… Bien maladroitement, certes… Mais nos parents et leurs amis ont été ; jusqu’à présent, nos seuls repères dans un monde qui va de plus en plus vite…

Le lycée, la 1ère voiture ( cette vieille Aronde d’occasion, quelle fierté et quel bonheur.. !! ), les copains de la fac et cette liberté, toute neuve qui nous fait découvrir la grande ville… Bordeaux.. !! Changement d’échelle.. On se sent un peu perdu, forcément… Car voici les ploucs du Périgord qui débarquent.. mais ils vont vite se rattraper… !!!

Mon père qui m’accompagne à la Poste… Instant solennel : on va ouvrir, ensemble, mon 1er Compte Chèque postal, car je vais bientôt gagner ma vie… Et – grand événement – je suis marié depuis le 26 décembre 70… Anne Marie, que je fréquente déjà depuis 4 ans, deviendra mon épouse pour le meilleur et pour le pire, selon la formule consacrée..

Et on aura des enfants, bien sûr.. mais plus tard…

Tout faire, tout découvrir, tout croquer.. Avec la passion et la fougue des affamés de la vie …

Bye, bye, les copains… Bonjour les collègues, à moi les mutations dans l’Education Nationale.. les élèves… Je suis prof d’allemand, à La Réole, depuis octobre 70… Et j’aime ça… !!!

C’est à notre tour d’assumer…

Du coup, tous nos parents ont pris un sérieux coup de vieux, au passage…. Ils seront là, présents, aidant au besoin… Heureux de nous recevoir, en famille, pour quelques jours de vacances, à Noël ou à Pâques.. Et l’été, ils nous rejoindront, car les voici grands parents, à leur tour.. Olivier, puis Emmanuelle ( Manou ) sont venus nous enrichir de leurs petites vies, qui font de nous une vraie famille..

Ce bonheur là, qui est le nôtre, c’est bien volontiers qu’on le partagera avec parents et grands parents…

Eh oui… Voici que les grands parents Pijassou ont bien vieilli, eux aussi…

Mais ils ont toujours plaisir à s’entourer de monde…

Chaque année, au début de l’automne, on les retrouvera sur la foire exposition de Périgueux, au mois de septembre… C’est là qu’ils vont tenir une buvette, associés à un marchand de vins de leur parentèle… Ils y passeront la semaine entière, heureux de servir leurs amis de passage… S’y pressent les vieilles connaissances de Sorges et de Ligueux… les collègues de la SNCF… les anciens ou les voisins du quartier…

Ma grand mère retrouve ses habitudes, du temps où elle tenait sa petite épicerie de la route de Paris.. Souriante et avenante, je découvre une autre facette de sa personnalité…

Et je ne suis pas le seul à apprécier, apparemment… !!!

Un peu plus tard, en plein hiver, ils hébergeront un pensionnaire venu d’Auvergne… J’ai oublié le nom de ce paysan, qui plutôt que de rester enfermé dans sa ferme enneigée les ¾ du temps, profitait de la morte saison pour faire le représentant en linge de maison…

Pas sûr qu’il ait été en possession d’une carte de VRP, mais il arrivait à la mi-janvier, avec son break chargé à bloc, de torchons, serviettes et gants de toilette en éponge, serviettes de table, draps de lit en coton ou en lin, taies d’oreiller, traversins, molletons.. que sais-je encore… ?? De toutes couleurs et de toutes dimensions…. Il avait sa clientèle fidèle et passait, chaque année, un bon mois à écouler ses marchandises..

( Ma pauvre mère nous constitua ainsi notre trousseau de mariage… et presque 50 ans plus tard, j’ai encore, dans une armoire, des pièces de linge qui n’ont jamais servi, tant il y en avait… !! Bien entendu, nous en avons fait profiter nos enfants, mais il en reste encore… !!! )

Cet homme était devenu un ami de la famille et reçu, comme tel, chez mes grands parents… En pension complète, certes, mais comme à la maison…. Car, à l’époque, ces pays de montagne entraient, quasiment, en hibernation… Le froid, la neige et le mauvais temps paralysaient la vie économique… Pas de stations de ski… ou très peu. Les sports d’hiver étaient réservés à une très petite élite de gens fortunés… Alors, pour occuper le temps et faire rentrer quelque argent, tous les moyens étaient bons..

C’était cette autre époque que je souhaitais évoquer ici… Pas de commande en ligne,ni de livraison en colissimo.. !! Mais des rapports humains, directs et policés, entre gens simples, sachant se contenter du peu qu’ils gagnaient honnêtement, jour après jour…

Ces gens là, comme ma grand mère ( et cet auvergnat VRP ) n’ont jamais fait fortune, dans leur commerce.. Ils n’auraient jamais supporté l’idée de tromper ou d’arnaquer le client… La coutume, la règle qui s’imposait à tous, c’était de demander le juste prix, pour son travail et le temps passé… Pas plus.. pas moins.. C’était ainsi…

Les choses ont bien changé depuis, je dirais…

Jean Jules Pijassou décéda le 22 Février 1974. Il avait 76 ans. Urémie.

Et la vie bascula pour son épouse… Elle demeura longtemps seule, dans sa grande maison de la rue Combe des Dames… Elles y recevait quelquefois des visites, car sa porte restait toujours ouverte à tous… mais le moral n’y était plus, même si elle était toute heureuse de nous revoir régulièrement, car elle adorait nos enfants…

Déprimée, mais toujours vigoureuse et travailleuse pour son âge, elle retrouva un peu de tonus lorsqu’elle vint vivre avec mes parents, dans la petite maison de l’impasse Lacueille… Aussi longtemps qu’elle put gratter un peu la terre de notre jardin et, surtout, s’activer à tricoter pour les enfants, tout alla du mieux possible…

Mais bientôt, force fut de constater qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer et les choses se compliquèrent singulièrement… Il fallut se décider à lui trouver une place en maison de retraite, car elle en était au point de ne plus se rappeler où se trouvait sa chambre et se perdait dans la maison… On devait, presque constamment, l’assister…

De son côté, ma mère était déjà bien trop fatiguée pour assumer cette charge… Car nous savions tous que son cancer récidivait..

Mon père lui trouva donc une place à la maison de retraite de Mareuil/Belle, au nord du département , à la limite avec la Charente… Elle ne comprit même pas que sa belle fille était décédée le 17 novembre 1984, ni même que son propre fils – qu’elle ne reconnaissait plus depuis fort longtemps – était, à son tour, atteint d’un cancer, qui devait l’emporter le 2 Décembre 1989.

Nous avions eu le temps, avec mon père, de faire enregistrer, chez le notaire de famille, les actes me faisant, officiellement, tuteur de ma grand mère… Je m’en suis occupé durant 4 ans, lui rendant régulièrement visite, lorsque, de Périgueux, je rejoignais mon poste à La Rochelle.. ( ou inversement, bien sûr..) ça ne me rallongeait pas beaucoup, mais c’était plutôt déprimant, car la conversation était très limitée… Je lui tenais la main :

«  Tu sais qui je suis, Mamie.. ?? « «  Non.. !! »…

«  Je suis ton petit fils, Gérard.. «  «  Ah.. ?? Bon.. !! »

«  Sais tu ce que tu as mangé, aujourd’hui.. ?? » «  Non.. ! «

Etc, etc… Tout du même tonneau…

Je restais, malgré tout, un bon moment avec elle, à lui tenir les mains pour faire passer un peu d’affection et de sollicitude… lui parlant des enfants, de ma vie professionnelle, du temps qu’il faisait, évoquant de vieux souvenirs… Jusqu’à l’instant de mon départ qui la laissait, quasi indifférente….

Et pourtant, chose étonnante, cette femme était restée souriante et gaie… Elle avait trouvé une compagne, un peu plus jeune, qui la faisait tricoter.. Et, sous sa conduite, elle réalisait, sans jamais se tromper, et dans la bonne humeur, des vestes de laine ou des paires de chaussettes ( avec 4 aiguilles, dans ce cas là…,) toute heureuse d’avoir un peu d’occupation et de pouvoir, jusqu’au bout, rendre service …

Etant loin, par la force des choses, j’ai particulièrement apprécié le sérieux et le dévouement du personnel de cette maison de retraite… De temps en temps, je recevais un appel du secrétariat et donnais mon accord pour l’achat d’une paire de pantoufles neuves, ou d’une savonnette… ou de tout ce qui lui était nécessaire sur place… Et ça, c’est très rassurant pour la famille éloignée…

Hélène décéda, dans son sommeil, le 9 Mars 1993, à l’âge de 96 ans… Lorsque je fis ma dernière visite, je remarquai qu’on l’avait revêtue d’une très jolie robe, que je ne lui connaissais pas…

Cette marque de respect, cette délicate attention m’ont profondément ému, à l’époque… Et j’ai tenu à en remercier, bien sincèrement, le personnel et la direction de l’EHPAD.

Très peu de monde aux obsèques… Ceux de sa génération étaient partis depuis longtemps… Ceux de la génération suivante – celle de mes parents – étaient déjà réduits à la portion congrue… Ma tante, deux cousins et quelques copains .. Il faisait froid et gris, ce jour là… Au dehors, et en moi…

Tristesse… Infinie tristesse…

Après une longue vie de travail, marquée de terribles épreuves, Hélène Dezon, veuve de Louis Rebière, allait enfin connaître la paix et reposer, pour toujours, auprès de Jean Pijassou…

 

Hélène P (Large)

                  

                                                Hélène Pijassou   1897 – 1993

Jean P (Large)                                                                   

                                              Jean Pijassou 1898 – 1974                                                                       


                                                      

Gérard Rebière.

Fait à Périgueux. Novembre 2017.

 

 

PS : De nos jours, la petite épicerie de la Route de Paris a cédé la place, exactement au même endroit, à un café que fréquentent, essentiellement, les jeunes des lycées voisins : St Joseph ( privé ) et Laure Gatet ( public )…. Ils n’ont que la rue à traverser pour se retrouver dans une ambiance conviviale et bon enfant, autour d’un café ou d’un Coca, pour refaire le monde ou, tout simplement, passer un bon moment entre copains, après les cours….

A croire qu’à cette adresse, on ne peut que se sentir bien.. que ce soit dans le petit restaurant des années trente… ou au «  Fuego del diablo «  d’aujourd’hui….

Fuego (Large)